A propos d’Henry Pearlman
A propos d’Henry Pearlman
Je m’appelle Daniel Edelman et au nom de la fondation Henry et Rose Pearlman, je voudrais vous remercier d’être venu voir cette exposition. Henry Pearlman s’était entouré d’art. Il voyageait, toujours à la poursuite de nouvelles acquisitions pour sa collection. Il se rendait dans les lieux auparavant fréquentés par les artistes et recherchait la compagnie de leurs amis pour en apprendre plus sur les artistes et leurs méthodes. Les murs de sa maison et de son bureau portaient le résultat de cette quête. En tant que collectionneur, il eût la chance de vivre une expérience accessible à peu d’entre nous. Il a pu passer des heures et des années en compagnie d’une seule œuvre d’art, l’absorbant au fil du temps, y percevant des changements comme si elle était vivante, venant à connaître l’œuvre presque aussi intimement que l’artiste qui l’avait produite. Henry Pearlman prêtait également généreusement les œuvres de sa collection, aussi enthousiaste de la partager que de ce qu’il pourrait apprendre de sa juxtaposition avec d’autres œuvres en la prêtant pour des expositions. La mission de la fondation Henry et Rose Pearlman, dont il est à l’origine, est d’élargir la portée de l’art à un plus grand public et d’approfondir notre expérience personnelle de l’art tout en conservant les œuvres originales pour ses audiences futures.
Cette tournée – la première en plus de trente-cinq ans et la première fois que la collection voyage au-delà du nord-est des États-Unis – a pour but d’apporter ces œuvres d’art majeures dans de nouveaux endroits et devant de nouvelles audiences. Les visiteurs des cinq musées hôtes se retrouveront en compagnie d’artistes impressionnistes visionnaires à leurs moments les plus modernes. Nous espérons que cette publication ainsi que les sites internet qui lui sont associés permettront de prolonger l’expérience des visiteurs et peut-être, en éliminant les contraintes de temps et de lieu, de leur faire approcher le délice de la découverte sans cesse renouvelée dont jouit le collectionneur. Ces ressources sous forme imprimée ou électronique sont le résultat d’une inestimable collaboration entre l’université de Princeton et son musée d’art et ont bénéficié de l’apport de nouvelles recherches. Elles resteront un endroit à revisiter longtemps après le retour des œuvres à leur institution d’origine.
Daniel Edelman et Jeffrey Scheuer se rappellent de leur grand-père, Henry Pearlman :
L’homme Henry Pearlman :
« Terrien », c’est le mot que j’emploierais pour décrire mon grand-père. Henry Pearlman était authentique et était perçu comme tel. Il n’était pas question de faux-semblants avec lui. Il était autodidacte, en tout cas, pour ce qui est du monde de l’art – donc pour moi, il y avait un contraste intéressant entre un homme très humain et, à certains égards presque rudimentaire, dont je me sentais proche, et le collectionneur que je voyais aussi à la maison, étudiant de près des livres sur l’art et des reproductions d’œuvres d’art. Il y avait même une légère déconnexion entre ces deux aspects de sa personnalité, mais ils le rendaient d’autant plus intéressant à mes yeux. Il commença sa carrière de collectionneur pendant la Seconde Guerre mondiale, de façon relativement inattendue, mais c’était avant ma naissance, donc je ne suis pas tout à fait certain de la date. Cependant, il semble que ce fut un moment plutôt extraordinaire dans la trajectoire de sa vie. Il vit une peinture dans une galerie de Madison Avenue, comme il le décrit dans ses Réminiscences et il y eut un déclic qui ouvrit une dimension entièrement nouvelle dans sa vie.
Sur son activité de collectionneur :
Peu d’entre nous en savent beaucoup sur sa vie de collectionneur. Je pense qu’il gardait cela pour lui même. Rose voyagea souvent aux côtés d’Henry à certaines périodes de leur vie mais il voyagea également beaucoup seul. Ses rapports avec les marchands et les amis d’artistes étaient presque d’ordre privé. Je n’ai jamais réussi à mettre la main sur quelqu’un qui était allé à une vente aux enchères avec lui. Je pense que mon père a peut-être été traîné à une vente aux enchères sans en avoir gardé un bon souvenir. Cet environnement ne l’intéressait pas. Je ne pense pas qu’il voulait être dans une salle plein de gens en compétition pour acheter des œuvres d’art. Rose a dit que plus quelque chose était difficile à obtenir, plus il l’estimait. Elle parlait surtout d’elle, mais je pense que cela peut aussi s’appliquer à l’art. Je pense que si quelque chose, une œuvre, était inestimable, il la voulait d’autant plus. Et je ne pense pas qu’il était guidé dans ses choix par la valeur commerciale. Je ne pense pas qu’il était guidé par les opinions des autres. Il avait des conseillers autour de lui. Il travaillait avec des experts. Il avait des amis aux Archives Américaines qui lui donnaient des conseils. Mais je pense qu’il recherchait ce qui était difficile à obtenir et dont les autres ne voulaient pas forcément. Lorsque vous regardez certaines des œuvres d’art de sa collection, L’achat dont il était le plus fier est de loin le Van Gogh. Je ne suis pas sûr que cela veuille dire que c’était sa peinture préférée dans la collection, mais le fait que c’était un Van Gogh redécouvert et qu’il ait été au courant de la vente avant tout le monde parce qu’il avait des contacts et qu’il ait pu l’acheter avant que les autres collectionneurs de Van Gogh ne soient même au courant – c’était sa fierté. La chasse, l’achat et le processus comptaient autant que le tableau qu’il achetait finalement.
Une vie avec l’art moderne :
Ce dont je me rappelle. Mon père travaillait avec Henry – ils avaient monté une affaire ensemble. Quand nous avions des vacances d’école, parfois nous accompagnions mon père au travail, et s’il avait un rendez-vous avec Henry en ville, nous allions ensemble déjeuner avec lui. Je me rappelle très distinctement l’un des bureaux d’Eastern Cold Storage – je ne sais pas lequel d’entre eux c’était. Le bureau d’Henry était une pièce sombre à panneaux. Il y avait des fenêtres mais il semblait qu’aucune lumière ne provenait des fenêtres – et toutes les aquarelles de Cézanne étaient sur les murs de son bureau. Comme pour bien des choses avec Henry, je ne sais pas s’il recherchait l’obscurité car il aimait à en être entouré ou s’il recherchait volontairement cette obscurité pour protéger les aquarelles. Il a probablement passé plus de temps dans ce bureau que dans n’importe quel autre endroit dans sa vie. C’étaient peut-être ses œuvres préférées, ou peut-être qu’il savait vraiment que cela les protégerait de la lumière, parce que jusqu’à ce jour, ce sont les aquarelles les plus vives et les plus brillantes qui existent. Elles furent conservées dans des conditions proches de celles d’un musée, qu’il ait été ou non conscient de ce qu’il faisait alors.
Un rapport viscéral avec l’art :
Notre rapport, par l’intermédiaire de l’art, était viscéral, pas intellectuel. A un moment, assez tôt dans ma vie, je me rappelle que je collectionnai les timbres pendant quelques années. L’un de mes timbres était un timbre français représentant Les joueurs de cartes de Cézanne. Même à l’âge de dix ou onze ans, ce timbre et cette image avaient un pouvoir iconique sur moi. Je pense que je savais alors que mon grand-père avait certains Cézanne dans sa collection. Mais c’est tout ce que je savais. Le timbre est devenu une sorte de totem pour moi. En grandissant, je devins un fumeur de pipe et un joueur de cartes moi-même. C’était une image très paisible et contemplative qui, d’une certaine façon, me procurait un plaisir que je n’aurais su expliquer. Peut-être ce que j’avais hérité d’Henry était le sens du mystère de l’art. Parfois vous n’avez pas besoin de l’expliquer ou de comprendre pourquoi il vous plait. Le timbre était pour moi l’emblème de mon rapport à l’art à travers Henry.